samedi 19 janvier 2008

Tao Te King

Aphorismes V à IX

Voici cinq aphorismes de plus, traduits par mes soins...


V

Le ciel et la terre n'ont point de compassion
Les dix mille êtres ne sont pour eux que des chiens de paille
Le sage n'a point de compassion
Le commun des mortels n'est pour lui qu'un chien de paille

L'espace entre le ciel et la terre
Est comme un soufflet de forge
Vide mais qu'on ne peut compresser
Plus on puise en lui plus il en sort

Celui qui parle trop disperse son essence
Celui qui se tait la garde en lui


VI

L'esprit de la vallée ne meurt jamais
On dit qu'il est la femelle mystérieuse
La porte de la femelle mystérieuse
Est appelée la racine du ciel et de la terre
Elle semble presque palpable
On peut boire à sa source, elle est intarissable


VII

Le ciel est éternel, la terre est éternelle
C'est parce qu'ils sont éternels qu'ils sont ciel et terre
C'est parce qu'ils ne vivent pas pour eux-même qu'ils sont éternels

C'est pourquoi le sage place sa personne en dernier
Il se met en retrait, c'est pourquoi les hommes le portent en avant
Il se détache de son corps, c'est pourquoi son corps se conserve
Il ne se préoccupe point de son intérêt personnel
C'est pourquoi ses intérêts personnels sont satisfaits


VIII

La vertue supérieure est comme l'eau
Elle apporte beaucoup de bien aux êtres sans semer la discorde
On la trouve même en des lieux désertés par l'homme
C'est pourquoi elle est si proche du Tao

Les bons terrains font les bonnes maisons, la profondeur fait les grands esprits
La charité fait les grandes amitiés, la vérité fait les bonnes paroles
La droiture fait les bons gouvernements, l'abilité fait le bon travail
Les moments propices font les grandes actions

Seul l'homme ne s'opposant à personne n'est jamais à blâmer


IX

Remplissez un vase mais vous craindrez qu'il ne penche et se renverse
Affutez une lame mais vous ne pourrez la garder longtemps tranchante
Entreposez l'or et le jade dans une salle mais vous craindrez d'en confier la garde à quiconque
Celui qui a gagné richesse et honneurs, s'il devient orgueilleux, attirera sur lui le malheur

Se retirer une fois sa tâche accomplie, telle est la Voie du ciel


Remarques

Les chiens de paille sont utilisés pour la décoration lors de certains rituels pour éloigner le malheur. Ils sont couverts de riches ornements, mais ce n'est pas par affection pour eux qu'on les couvre ainsi. A la fin de la cérémonie, ils sont jetés dehors et les passants les foulent du pied, mais ce n'est pas par haine qu'ils sont foulés. C'est ainsi que les êtres vivent et meurt, sans que le ciel et la terre ne leur aient accordé la fortune par amour, ou l'infortune par haine, ils avaient simplement un rôle, une tâche à accomplir.

vendredi 18 janvier 2008

Tao Te King

Le Livre de La Voie et de La Vertu

Il existe de très nombreuses éditions et de sites internet retranscrivant les paroles de Lao Tseu... Malheureusement, nous pauvres occidentaux qui ne lisons pas le chinois, nous n'avons accès qu'à des traductions hasardeuses, déformées, obscures ou maladroites, ou pire : adaptées pour que soit-disant nous les comprenions mieux. Je n'aime pas trop cette étrange manie de féliciter ceux qui ont adapté les philosophies d'Orient pour les mettre à portée des occidentaux. Je ne vois pas quelle gloire il y a à vider une chose de sa substance pour que tout le monde puisse comprendre, sans trop se fatiguer, les résidus secs qui survivent à cette philosophie fast-food prémachée. Et puis franchement, on me fera pas croire que les traducteurs étaient taoïstes !

Parfois les auteurs ne peuvent s'empêcher de faire des paraboles avec le christianisme, et donne du Saint à toutes les sauces, là où les mots sage ou vertueux seraient plus adéquat. Ces amalgames là ne font que semer la confusion dans l'esprit des lecteurs, et donne à croire que le Tao Te King est un livre énigmatique définitivement hors de portée de notre intelligence. Il y a aussi les traducteurs qui veulent en faire trop. Il y a quelques jours par exemple j'ai vu le Tao Te King traduit par "Livre de la Voie et de la Vertu du Mystère originel suprême"... Bon sang c'est dingue ce qu'on peut dire avec seulement trois mots en chinois ! Je vous laisse deviner l'état du reste de la traduction... Personnellement, plutôt que de faire de longues paraphrases, quand un mot n'a pas d'équivalent dans notre langue, mieux vaut le garder tel qu'il est. Ainsi le Livre du Tao est pour moi la meilleurs des traductions.

Bref, je ne parle pas le chinois moi non plus. Mais pratiquant le kung fu et le taichi chuan, et étant vivement passionné de culture chinoise depuis ce jour, je vais tenter de re-travailler plusieurs traductions existantes à la lumière des enseignements que j'ai reçu de mon maitre de kung fu. Quitte à mettre la main directement sur les idéogrammes.

C'est un travail que j'ai envie de faire depuis fort longtemps, et je vais le partager avec vous (chanceux que vous êtes *rire*).




Un peu d'histoire


Le Livre comporte 81 chapitres ou aphorisme rédigé par Lao Tseu. Il est une croyance répandue selon laquelle Lao Tseu est le fondateur du taoïsme. C'est faux, c'est simplement le premier à avoir écrit un livre (ou en tout cas le plus vieux manuscrit taoïste qui est parvenu jusqu'à nous). En vérité le taoïsme existe depuis 6000 ans, ses origines s'entremêlant avec le Yi King. La tradition orale était très forte en ces temps là, et Lao Tseu lui-même n'a écrit ce livre que parce qu'un administré lui en a formulé la requête. Il n'y a tout simplement pas de premier taoïste, la philosophie a pris forme petit à petit, elle n'a pas surgi soudainement de l'esprit de Lao Tseu qui aurait vécu il y a 2500 ans.




Introduction : Le Tao


Le Tao est communément traduit par la Voie. Il est vrai que ce mot désigne une voie, un chemin, qui par métaphore suggère la Voie du Ciel. Il ne s'agit pas du Ciel comme étant un attribut du Divin (amalgame courant dans les traduction du Tao Te King) car il n'y a pas de dieu dans le taoïsme, mais il s'agit du Ciel comme représentant la Voie de l'Esprit, le Ciel qui s'oppose à la Terre (la matière). La Voie du Ciel, la Voie de l'Univers, du Cosmos ou de la Nature, sont des termes tous relativement acceptables.
Mais par choix, j'utiliserais presque toujours le mot Tao, parce que quand un mot n'existe pas dans une langue, quand un concept est absent d'une culture, les rapprocher de mots et de concepts de notre langue et de notre culture ne fait qu'induire en erreur le lecteur.
La meilleurs définition du Tao réside dans Tao Te King. Pourquoi réduire ce sens à quelques mots alors justement, que nous nous apprêtons à lire tout un ouvrage traitant de lui ?

Selon les sources dont je dispose, il n'y a que très peu d'idéogramme pour chaque aphorisme, tout étant dans la concision et la justesse. Je vais tenter, comme Lao Tseu, d'aller à l'essentiel. Inutile d'être précis, car comme il est dit dans le premier aphorisme : le Tao que l'on exprime par la parole et que l'on explique par la raison n'est pas le vrai Tao. C'est dans le flou artistique que chacun pourra sentir en lui, avec ses tripes, le véritable sens du taoïsme.

Je vais respecter aussi la typographie, chaque ligne correspondra à une colonne d'idéogramme, et je n'ai pas mis de ponctuation, pour garder le coté versifié, et même dans une certaine mesure adapter l'ordre des mots à l'ordre des idéogrammes...

Bref... Venons-en au coeur du sujet : ma version du texte !
Je ne vais pas rédiger aujourd'hui les 81 aphorismes du Tao Te King, j'en rédigerais une poignée de temps en temps, alors soyez patient !




I

Le Tao que l'on exprime par la parole et que l'on explique par la raison n'est pas la Tao Véritable
Le nom par lequel on le nomme n'est pas son Nom Véritable

Sans nom il est l'origine du Ciel et de la Terre
Avec un nom, il est la Mère des dix mille choses

C'est pourquoi celui qui n'a jamais de désir le perçoit dans sa profonde splendeur
C'est pourquoi celui qui désire constamment en observe les formes superficielles

Ce sont deux manifestations d'un même Être nommées différemment
On le dit insondable, mystérieux et insondable il est
C'est la porte qui mène à toutes les sagesses


II

Lorsque chacun sut reconnaitre le beau et voulut s'embellir, la laideur apparut
Lorsque chacun sut reconnaitre le bien et voulut faire le bien, le mal fut fait

C'est pourquoi l'être et le non-être s'engendre l'un de l'autre
Le difficile et le facile se muent l'un en l'autre
Le long et le court se distinguent l'un par l'autre
Le dessus et le dessous se rejoignent l'un à l'autre
Le ton et la voix s'harmonisent mutuellement
Le passé et le futur se suivent d'un instant

C'est pourquoi l'homme vertueux se garde d'agir
Il instruit par son silence

Alors dix mille choses se mettent en mouvement sans qu'il use d'autorité
Il leur donne naissance sans se les approprier
Il les fait grandir mais ne s'appuient sur elles
Une fois sa tâche accomplie, il ne s'attarde pas sur ses mérites
Il ne recherche pas les louanges, c'est pourquoi les louanges viennent constamment à lui


III

Ne point honorer les hommes de valeur, c'est préserver le peuple des disputes
Ne point rendre précieux les biens difficiles à acquérir, c'est préserver le peuple des vols
Ne point exposer à la vue ce qui est propres à provoquer l'envie, c'est éviter que le peuple ne troublent son coeur

C'est pourquoi l'homme sage le gouverne en lui vidant son esprit
En lui remplissant son ventre, en lui affaiblissant sa volonté, et en lui fortifiant ses os


Il s'emploie constamment à rendre le peuple ignorant et sans désirs
Il s'assure que les érudits n'osent pas se manifester

Il agit sans agir, il gouverne sans gouverner


IV

Le Tao est vide mais si l'on en fait usage, il est intarissable
D'une profondeur abyssale, il semble être l'ancêtre de toutes choses

Il émousse tout ce qui tranche
Il délie tout ce qui est lié
Il ternit tout ce qui brille
Il transforme tout de la même poussière

Insondable, il nous semble qu'il est là depuis la nuit des temps
J'ignore de qui il est le fils
Il semble plus ancient que l'Empereur du Ciel


Remarques

A propos de l'Empereur du Ciel, dans le quatrième aphorisme, j'ai utilisé une traduction littérale. Chez les anglo-saxon, on trouve God (Dieu), mais d'une part il n'y a pas de dieu dans le taoïsme, et d'autre part, l'Empereur du Ciel désignerait plutôt le Soleil. Les empereurs qu'ils soient japonais ou chinois, se pare souvent de jaune, et se proclame d'une descendance solaire.

Finalement, j'ai basé mon travail directement sur les idéogrammes chinois, c'est pourquoi il n'y en a que quatre... Il m'a fallu entre 45 minutes et une heure pour chacun, donc cela va prendre du temps... Mais cela en vaut la peine ! Je veux que mes aphorismes soient les plus fidèles que possible aux originaux.

lundi 7 janvier 2008

La vérité sur Horace

De l'art de la citation abusive

L'art de la citation m'a toujours amusé !
D'abord parce qu'il en existe toujours une qui dit exactement ce qu'il nous arrange, et aussi parce qu'un interlocuteur cultivé connait forcément la citation-parade. Et puis c'est tellement facile de jeter triomphalement une phrase toute faite à la face de nos détracteurs, comme s'il suffisait qu'une pensée soit citée pour qu'elle soit vraie ! D'autant plus qu'on peut se permettre de la citer sans même la comprendre... et là, ça devient grandiose...

Mais il y a mieux : la citation détournée. Il doit y en avoir de ces grands auteurs qui s'en retournent dans leur tombe... En voici une très célèbre, dont je viens de découvrir l'origine il y a peu. Il s'agit de la fameuse :

"Qui veut la paix prépare la guerre."

Tout le monde la connaît, mais vous allez maintenant découvrir la vérité sur cet emprunt maladroit à Horace, cette amputation de sa pensée, ce détournement honteux sorti de son contexte...

Voici l'extrait :

Apprenez, maintenant, quels avantages apporte avec soi la simplicité du régime. Avant tout, vous vous portez bien. Que la variété des mets soit nuisible à l'homme, vous le pouvez croire d’après votre propre expérience, vous souvenant de cette nourriture simple qui vous a passé facilement. Mais quand on mêle ce qui est rôti et ce qui est bouilli, les coquillages et les grives, la douceur se tourne en amertume, en bile, et l'humide pituite met le trouble dans l'estomac. Voyez ces intempérants se lever pâles de la table où, entre tant de mets, hésitait leur gourmandise. Un corps appesanti par les excès de la veille fait sentir son poids même à l'âme, et rabaisse vers la terre cette portion du souffle divin. Au contraire cet autre lorsque, refait en un moment par quelque nourriture, il a livré ses membres au sommeil, revient frais et dispos aux devoirs qui l'attendent. En certains cas, cependant, il pourra passer à un meilleur régime, quand le cours de l'année ramènera quelque jour de fête, quand il croira devoir rendre un peu de force à son corps fatigué par le travail. Les années viendront, la faiblesse de l'âge voudra un traitement plus doux ; que pourras-tu alors ajouter à ces douceurs sur lesquelles tu te jettes au temps de ta jeunesse et de ta force ? Qu'en réserves-tu pour celui où tu seras attaqué par la maladie, appesanti par la vieillesse ? Nos anciens faisaient cas d'un sanglier rance ; non qu'ils n'eussent point d'odorat, mais dans cette pensée, je crois que de ses restes avancés on pouvait user utilement pour un hôte inattendu, au lieu de sacrifier sans fruit la pièce entière à l'intempérance du maître. Oh ! pourquoi la terre nouvelle encore ne m'a-t-elle pas fait naître parmi ces héros ? Donnes-tu quelque chose à la renommée dont la voix, mieux que celle des Muses, peut charmer l'oreille humaine ? Ces grands poissons, ces grands plats, apportent ensemble force dommage et déshonneur. Ajoute la colère d'un oncle, la haine des voisins, toi-même, qui ne te peux souffrir, et souhaites en vain de mourir, n'ayant pas, dans ta misère, un dernier as pour acheter de quoi te pendre. C'est à Trausius, répond-il, que conviennent de tels reproches ; moi, je possède de grands revenus, d'amples richesses qui suffiraient à trois rois. Eh bien ! de ton superflu ne saurais-tu faire un meilleur usage ? Pourquoi voit-on, quand tu es riche, languir dans une injuste indigence d'honnêtes gens ? tomber en ruine les temples augustes des dieux ? Ne pourrais-tu, méchant, de cet amas de trésors, retirer quelque faible portion, pour l'offrir à ta chère patrie ? Tu es le seul, apparemment, pour qui les choses iront toujours bien. Oh ! quel sujet de risée tu prépares à tes ennemis. Lequel, dis-moi, au milieu des chances diverses de la vie, doit le plus compter sur lui-même, de celui qui a follement assujetti à mille besoins son corps et son âme superbe, ou de celui qui, content de peu et inquiet de l'avenir, a, comme l'on dit, préparé dans la paix les armes de la guerre ?

Source et texte complet : Espace Horace (le présent extrait provient du Livre deuxième - Satire II).

Alors ? C'est quand même autre chose, n'est-ce pas ?